BAC JAUNE #3 / CORRIDOR / exposition Couloir#2 / Strasbourg / mars 2025

 

« Repartir en production pour le projet-processus «Bac Jaune» en vu de participer à l’exposition Couloir#2 * et répondre ainsi à l’invitation d’Ann Loubert. 250 cadres (un peu plus – un peu moins) et autant d’emballages, cadres plastiques IKEA – économie de la production – format 21X30 cm – noirs ou blancs – papiers de fond – noirs – blancs – gris – cartons d’emballage – marrons – beiges (plus ou moins foncé) – blancs. Puiser dans les encadrements déjà réalisés pour récupérer et recycler les emballages correspondant au projet – si besoin compléter en cherchant de nouveaux emballages dans les bacs jaunes de l’immeuble »

journal, Strasbourg, 24 décembre 2024 

Dans la répartition des espaces de l’atelier-appartement entre les 4 artistes de l’exposition, le couloir s’est imposé immédiatement comme l’endroit idéal pour concevoir un nouvel accrochage d’une partie de la collection Bac Jaune (environ 1500 emballages encadrés en mars 2025).  Couloir long d’une dizaine de mètres, couloir étroit forçant une relation de grande proximité entre le  regardeur et les oeuvres accrochées, relation de vis-à-vis mettant en tension le visage humain incarné et les visages fantomatiques, visagéités, que l’imagination fabrique en interprétant les formes d’emballages produites par la logique productiviste d’une rationalisation de la circulation de la marchandise.


« voix du couloir » lecture d’Elias Levi Toledo


Emballé 

Collage

Une théorie générale du carton

Une traduction

Le tout peut-être parsemé de poèmes

COLLAGE

Ce prochain poème est 100% plagié, enfin plié, enfin recyclé. 

Il aurait lieu, tout d’abord de classifier certains de ses traits.

Il serait toutefois imprudent de tenter de créer des formules.

Il est si totalement soumis à son contenu. Lamentable vestige. L’éternité et la poubelle.

Charme, secret, rite. Totem. Magie. La science des nœuds. Le goût de l’inconnu. Le collage, cette accumulation d’opérations. Il serait toutefois imprudent de tenter de créer des formules. Nous ne 

perdons pas de vue ses possibilités. Nous ne perdons pas de vue ses possibilités émotionnelles. Je vous aime tous, je vous aime. Vous vous suffisez à vous-mêmes. Emballages.

Élément dominant de la civilisation moderne 

Instrument agissant qui joue le rôle de lanterne

Pour les chercheurs de toute espèce perdus dans la ténèbre épaisse

Depuis Platon jusqu’à Lucrèce et de l’oncle jusqu’à la nièce

En passant par les grands de Grèce et par le boulevard Barbès

Puisqu’il faut les nommer

               Emballages.

(…)




Je ne saurais pas pointer Delphes de mémoire sur une carte blanche, la grotte de Vallon Pont d’Arc, oui, dont je sortais surpris de ne pas retrouver les glaciers et les neiges qui certainement régnaient autour de la faune représentée au revers de la montagne. Chaque motif, dessiné ou estompé, s’y avère avoir été immensément respectueux du relief où il se dépose. L’anatomie de la caverne elle-même, je me suis demandé si elle n’était pas vécue comme disant sa logique aux impétrants, comme les parois des temples dictent la leur aux regards, dans un non-dit qui à chaque fois serait une sorte de style proposé à ce qui y est révéré. Le respect pour le monde comme il était n’a pas caractérisé nos activités depuis, ni l’évolution déglaçante. Nous voilà privés de mammouths.

(…)

En traversant un couloir place Blanche, je me suis souvenu des dessins de la grotte Chauvet. Le respect de François Duconseille pour les cartonnages, pour les emballages jetés par ses voisins au Bac Jaune de la cave, son geste pour les déplier, les éployer, son respect pour ce continent de rebuts qui nous entoure de façon tellement démesurée, m’a rappelé le respect qu’avaient les gens de l’Aurignacien, pour les reliefs des parois de la caverne. Aux murs de cet appartement, étaient dépliés avec le même respect, des cartons d’emballages qui, multipliés, faisaient comme l’a très justement déclamé un poète, plus de personnages que ceux de la Recherche du temps perdu.

Et comme à Delphes, en fermant les yeux et en écoutant l’oracle venu là nous dire les yeux fermés tout ce qu’il avait vu d’un de ces « visages » déployés par François Duconseille au revers de l’aveuglement consumériste qui nous anonymise en nous cliquant comme jamais, je me suis senti là où je suis réellement. J’ai senti ces visages en rire, se moquer, enfin libres, au beau milieu de l’entrelacs des énormes machines qui plient sans relâche, coupent sur des plans de pliure inconcevables sauf par des ingénieurs kafkaïens dont la vie certainement est dédiée à deviner quel carton emballera notre prochain aspirateur, chasse-limace, ratatine-ordure. J’ai senti depuis la place Blanche comme nous sommes comprimés nous aussi, par le monde des automates et des penseurs asservis à l’automation comme nous en avait prévenu Charlie Chaplin. Ça imprime, ça emballe, ça adresse et ça expédie. Heureusement qu’il y en a qui empêchent cette machinerie de récupérer ensuite la totalité des restes de cet Inconscient sans penser à jeter un regard aux écorchures que ça nous fait à la conscience.

Baudouin Pfersdorff, mars 2025


C’est une chose qui me fait face ou qui me tourne le dos, frontalement dans un cas comme dans l’autre ; une chose qui me fait face bien qu’elle me présente son envers, comme je le sais en l’abordant et comme je tâche de l’oublier pour la voir en elle-même. Cette chose donc me fait face et, ce qui est plus, elle me regarde. Ce que je suis tenté d’appeler ses yeux, parce que ces orifices sont au nombre de deux comme mes yeux à moi et, comme mes yeux à moi, se trouvent presque au sommet de ce que je suis tenté d’appeler son corps, ses yeux donc sont au niveau de mon regard, et de là son corps descend jusqu’au niveau de ma taille. La chose s’arrête là ; elle est dénuée de jambes ; et si je ne peux donc pas dire qu’elle s’érige devant moi, elle se dresse néanmoins, elle plane, se soutient, insiste, elle me fait face et me regarde. Elle est installée sous une vitre, au centre d’un cadre noir une fois et demie plus haut que large, et se détache sur un fond noir lui aussi, dont je remarque, si je m’approche plus près, qu’il se compose de deux rectangles de taille exactement égale qui se confondent à mi-hauteur (…)

Régis Quatresous

texte lu par l’auteur le 15 mars 2025 pour «regard les yeux fermés» rencontre organisée pour l’exposition Couloir#2


BJ-1892 (carton d’emballage d’un pack de bière – 103 x 73 cm)


Suite à la présentation de l’installation BAC JAUNE / CORRIDOR a été publié un nouveau livret de la série BAC JAUNE